Nine Teen : Février 1988 (n°25)

LE GROOM DE L'HOTEL BLEU

 

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Boxeur, comédien, surfer, chanteur, Chris Isaak, un dur au travail qui ne se contente pas de faire fonctionner sa belle gueule. Chris Isaak a tout pour devenir une star. Une belle petite gueule de démon elvisien, qui peut faire frémir jusqu'aux bandanas glissés dans les poches arrières de jeans; une sensualité reptilienne et glauque à faire palpiter les tailleurs Chanel à la sortie des institutions privées ; pour bien enfoncer le coin dans le coeur, Chris choisit de parler d'amour, quasi exclusivement, l'amour impossible, douloureux, chaotique, enfin, la routine, quoi : la plainte offerte à ceux qui se retiennent de larmoyer, la détresse par procuration. 

Enfin - et en ce qui nous concerne, surtout - sa musique coule comme du sang frais, gimmick rafraîchissant, dodue comme une madeleine de Proust. Lorsqu'Isaak dresse la table, ce sont les plus grands qui viennent se moucher dans la nappe: le King bien sûr, mais aussi Roy Orbison à la voix plaintive et au cœur coincé dans la porte, et Buddy Holly, tous ces gens tellement ancrés dans leur époque qu'ils ont fini par la construire, la faire muter. Évidemment, pas question de réduire le p'tit gars de Stockton à un bêlant revivalisme, lui qui essaie simplement de recueillir dans ses mains jointes un tremblement, un hoquet, venus de la nuit des temps. C'est-à-dire des années 50...Effectivement, Chris Isaak a tout pour devenir une star... en France. 

 

Car ce n'est pas le moindre paradoxe de cette carrière naissante qu'elle se cantonne dans la série B Outre-atlantique pour débouler vers les sommets vertigineux du Top 50 (en compagnie de Los Lobos ! On croit rêver au pays de Vanessa Paradis !) par chez nous... Un pas grand-chose chez lui, à qui l'Hexagone accorde des publics extatiques et des limousines. C'est à partir d'un de ces wagons que s'est déroulée la conversation qui suit : coussin moelleux et ambiance feutrée, climat idéal pour jouer aux légendes du rock'n'roll...

Tu as eu très tôt des contacts avec le cinéma. Je pense en particulier à ces projets qui n'ont pas abouti avec le réalisateur de "Stop Making Sense", Jonathan Demme.
C'est exact, je devais jouer dans un film de Jonathan intitulé "Something Wild", mais j'étais en session d'enregistrement au même moment, et je n'ai pu y participer. Pourtant, je serai dans son prochain, film dont le tournage commence en novembre à New-York : ce sera un petit, mais très intéressant rôle... Je jouerai un gangster !

Côté vidéo, il y a eu ce travail quelque peu surprenant avec Mondino...
Pourquoi avoir choisi Mondino ? J'avais déjà vu des trucs qu'il avait fait pour la télévision française, des pubs, et je trouvais ça très bien... Et puis, j'ai pensé qu'il ne pouvait être que bon, avec un nom pareil, Jean-Baptiste Mondino !!!

Nous parlions tout à l'heure de Richie Valens au sujet de "La Bamba", mais c'est plutôt Roy Orbison qui a tes faveurs...
Oui, je dirais ça comme ça... Il a une voix extraordinaire, mais il a surtout composé des choses fabuleuses ! Je l'ai rencontré pour la première fois il y a quelques mois à peine, et, récemment, il m'a demandé de participer à son TV show, une émission spéciale pour la télévision américaine ! J'aimerais vraiment travailler avec lui Je ne l'ai jamais vu sur scène, et j'enrage. Il paraît qu'en concert, c'est vraiment super : on m'a dit qu'il avait une voix tellement fantastique !

Plus belle que la tienne ?
BEAUCOUP plus belle !!

Remontons gaiement le temps, d'accord ? Quand le rock'n'roll s'est-il imposé à toi ?
Probablement... Tu sais, j'écoutais beaucoup de musique, lorsque j'étais avec mes parents à Stockton... Nous avions beaucoup de disques... Mais je crois que le déclic vient surtout de mon voyage au Japon. J'étais à Tokyo, dans l'équipe de boxe d'un collège, et je n'avais aucun ami américain, personne à qui parler. Alors, j'écoutais énormément de disques. J'ai acheté les Sun Sessions et c'est là que tout a vraiment commencé pour moi.. 

C'est pas un peu paradoxal, cette découverte du rock'n'roll au pays du soleil levant ?
Tu sais, le Japon croule sous les rééditions ! Ils rééditent tous les premiers grands albums de l'histoire du rock, alors qu'aux USA, je n'aurais pas pu trouver ces albums. Je m'en souviens, chez le disquaire de ma rue, je n'avais pas pu trouver les albums de Bo Diddley... même chose pour les premiers Elvis !

Ta carrière a traditionnellement débuté par le circuit des bars ?
Exactement : au tout début, j'ai joué dans des bars fréquentés par des gangs de motards, et je chantais pour ces gens qui buvaient beaucoup de bières, s'échauffaient mutuellement et cherchaient la bagarre ! Et moi, j'étais là, planté sur scène à essayer de placer mes ballades ! Mais, au bout du compte, ça a été une expérience passionnante pour moi !

Pour nous, en France, tu as jailli brusquement de nulle part avec Silvertone, ton premier album. C'était en 1985 ; rétrospectivement, comment juges-tu ce disque ?
J'aime les deux disques que j'ai faits. Je prends beaucoup de temps pour enregistrer, pour conclure un disque. Mais lorsque c'est terminé, je suis généralement assez satisfait du résultat !

Pourquoi ce besoin de temps en studio ? Pour composer ?
Non, pour enregistrer. J'ai des idées très particulières sur la façon dont je veux sonner..

Comme producteur, tu as exhumé un sacré revenant, l'ex-Lovin'Spoonful Erik Jacobsen. Où es-tu allé le pêcher celui-là ?
Je l'ai rencontré au tout début de ma carrière. Il m'a vu - et entendu ! -jouer dans les bars que j'évoquais à l'instant. La première fois que je l'ai vu, c'était vraiment un pauvre type, à la limite de l'épave: complètement démuni, des chemises élimées, des lunettes noires en toutes occasions pour cacher ses yeux bouffis, etc.. En fait, je me demandais si c'était un musicien ou un gangster ! La première éventualité était la bonne: c'est un excellent producteur !

Autre personnage qui te reste particulièrement fidèle,
c'est ton guitariste James Calvin Wilsey...
Jimmy et moi sommes ensemble depuis sept ou huit ans... Nous sommes très bons amis, mais ne nous parlons jamais ! (rires). 

La musique se suffit à elle-même ?

Effectivement ! Nous jouons ensemble, mais, tu sais, c'est quelqu'un de particulièrement placide et peu loquace : il ne dit JAMAIS rien !

Que s'est-il passé entre tes deux albums : des doutes, ou la gloire et la fortune ?
Non, simplement... Simplement, entre ces deux disques, beaucoup de travail ! J'ai passé énormément de temps en studio, ou à jouer en concert. A San Francisco, mon groupe et moi avons joué quelque chose comme quatre, cinq fois par semaine.

Éprouvant ?
Non, plutôt amusant :les membres du groupe se connaissent depuis longtemps, s'apprécient, et l'ambiance est bonne. Nous avons fait beaucoup de chemin ensemble depuis le début. En outre, nous avons de nombreux fans à San Francisco. Oh pas une foule de gens, mais un public fidèle sur lequel on peut compter.

Si l'on écoute tes deux albums d'affilée, on relève peu d'évolution, comme entre deux parties d'un seul et même double Lp... 
En effet, je pense qu'il y a eu peu de modifications entre ces deux disques. Ils sont assez proches, je l'admets... Mais, en même temps, je considère que chaque nouveau disque représente un léger changement par rapport au précédent. Pas une révolution, non, mais un immobilisme qui n'est qu'apparent. A chaque fois, il y a de petits changements dans les détails, quand même...

Il y a cette surprenante version du "Heart Full Of Soul" des Yardbirds, surprenante car on n'attendait pas vraiment cela de toi...
Oui, j'aurais dû enregistrer un classique du rock américain, c'est cela ?!? Tu sais comment ça se déroule habituellement dans ce genre de cas : ça s'est passé enfin de sessions d'enregistrement. Je n'étais pas certain de garder cette chanson, mais j'ai fait une tentative. Et quand on l'a eu enregistrée, on a trouvé notre version plutôt bonne, et c'est pour cela qu'elle figure sur l'album !

Un journaliste a déclaré que tu étais "trop européen pour être américain, trop américain pour être britannique, et trop britannique pour être honnête". Qu'en penses-tu ?
(il éclate de rire). Je ne sais pas... Je suppose que le journaliste en question a dû bien s'amuser !


Une lecture rapide de tes textes semble démontrer qu'une chose passe avant tout pour toi, et
c'est l'amour...
Pour moi, les chansons les plus importantes parlent de relations entre les gens, appelle ça de l'amour si tu veux! "I Want To Hold Your Hand", "Hard Day's Night", ces chansons parlent toutes de relations entre les gens. Je pourrais dresser une liste interminable de chansons sur ce sujet !

Et puis il y a cette chanson que j'aime vraiment beaucoup, et qui semble te tenir vraiment à cœur, car tu en parles souvent, "Blue Hotel"...
C'est une chanson plutôt sinistre... "Blue Hotel" parle d'un de mes amis, un Japonais qui habitait Stockton... Je ne l'avais pas vu depuis près d'un an, et j'ai appris qu'il avait été hospitalisé.. (le débit se ralentit, et, manifestement Isaak ravive de douloureux souvenirs ... ). Je suis allé lui rendre visite quotidiennement, et un jour, contre toute attente, ils l'ont laissé sortir.. Mais... Quelques mois plus tard.. il s'est suicidé. Il s'est tiré une balle dans la tête... Il est allé dans un hôtel, dans les faubourgs de la ville, et s'est suicidé... Ce n'est pas le genre de choses que je pouvais penser inspirantes, mais je n'arrêtais pas d'y penser, je ne pouvais m'en débarrasser.. Ça parle de... Tu sais, il a laissé à côté de lui une liste, une liste de femmes dont il était amoureux, et la chanson parle moins de suicide que de tous ces gens qui attendent après un amour qui ne vient jamais, car il n'est pas partagé...

Cette chanson, "Blue Hotel", ainsi que beaucoup d'autres, semble te dépeindre sous un jour particulièrement dépressif..
(rire) J'essaie de ne pas être trop abattu, QUAND MEME ! Je crois montrer dans ma vie une grande débauche d'énergie, et j'adore faire des blagues et plaisanter avec mon groupe ou des copains! Mais je crois que ton impression est juste, tout simplement parce que je me montre un peu plus sérieux dans mes disques que je ne le suis réellement ! Mais comme je le dis toujours, si tu veux être triste, c'est ok, mais n'alourdis pas le climat général, et n'en fais pas une montagne !

Tu es donc actuellement en tournée en France, où ton succès est sans commune mesure avec celui que tu connais dans ton propre pays.
Pour moi, les deux publics, l'américain et l'européen, sont identiques, vraiment... Cela dit, chanter en France est vraiment fantastique, car les gens connaissent mes chansons, les ont entendues à la radio et les chantent avec moi ! C'est excitant : ce n'est pas absolument nécessaire, mais.. tu vois ce que je veux dire ? Ils CONNAISSENT mes chansons par la radio ! (il semble ne pas en revenir). A Lyon, une fille est montée sur scène pour danser, et elle m'a touché, dans les deux sens du terme : j'ai vraiment eu l'impression qu'il s'agissait d'une amie d'enfance que je retrouvais là ! La France c'est un pays complètement fou (des étoiles dans la voix) !

Toute cette folie dans laquelle tu évolues quotidiennement, qu'est-ce que tu y recherches ?
Certainement... Je suis certainement là-dedans parce que j'aime avant tout la musique. En fait, j'ai peu à voir avec le business... Tu vois ce que je veux dire. Le business, ce n'est qu'une partie de l'affaire... Certains sont dans le circuit parce que ce sont des bêtes de scène, de formidables performers qui ne peuvent se passer du public... D'autres parce qu'ils ont une belle gueule, qu'ils aiment l'argent ou le style de vie des rock-stars... Mais, personnellement, je suis avant tout un fan de musique. Si je n'étais pas SUR scène, je serais très certainement dans la salle, juste CONTRE la scène !

C'est si important que cela, d'être un fan ?
Je pense que c'est indispensable ! Je crois que tous les grands musiciens que je connais ont une importante collection de disques des artistes qu'ils aiment !

Ça, c'est plutôt le passé. Mais aujourd'hui, qu'est-ce qui te fait plus particulièrement vibrer ?
Il n'y a pas beaucoup de choses que j'aime aujourd'hui avec... disons, constance... J'aime bien Carmel : je pense que son album est excellent, le premier. Je l'ai vue en concert, et elle a vraiment une voix superbe ! C'est ce qui m'a séduit en premier chez elle, le chant. De toutes façons, je m'intéresse toujours d'abord à la voix... En plus, Carmel semble une fille vraiment honnête dans sa démarche artistique...

Entre les sessions d'enregistrements et les concerts, il ne doit de toute façon pas te rester grand temps pour t'intéresser à autre chose !
Comme je te le disais en début de conversation, j'ai été plongé jusqu'au cou dans la musique, ces douze derniers mois. Mais j'ai toutefois conservé le goût du cinéma, et... du surf ! Sans parler des femmes, naturellement ! Pour ce qui est de la politique, cela ne m'intéresse ABSOLUMENT pas ! Je ne suis peut-être qu'un musicien, mais j'ai quand même conservé un semblant de sens moral.

Et demain ?
Donc, retour à New- York en novembre où je vais tourner ce film avec Jonathan Demme, et à la fin du tournage, j'enchaînerai aussitôt en enregistrant mon prochain album...

On plonge dans les délices de l'étiquetage, pour finir ?
Donner une définition de ma musique en quelques mots, c'est ça ? Mmmmh... C'est le genre de musique que Pat Boone aurait pu jouer... s'il avait pris du LSD !!!

Christian LARREDE
Photos: Youri LENQUETTE

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