Best : May 1993 (n°298)

L'ABBÉ DE SAN FRANCISCO

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Pour Chris Isaak, les fifties sont une religion, même s'il s'en défend. Le culte de l'âge d'or américain, il le conjugue aussi bien dans son nouvel album qu'en jouant les James Dean dans les films hollywoodiens d'aujourd'hui, une manière d'être de toutes les époques à la fois.
Dire de Chris Isaak qu'il est de "retour" est peu approprié. Parce qu'il n'est jamais vraiment parti, parce qu'il n'a jamais été vraiment là. Avec nous, sur cette terre. Dans le monde de l'énigmatique Chris Isaak, il n'y a pas d'actualité. Une icône, un rêve sont-ils d'actualité ?
En effet, depuis "Silvertone" en 85, chaque album (rigoureusement identique) ne cesse de décliner la même complainte d'images 50' et 60'. Et "San Francisco Days", le petit dernier, ne déroge pas à la règle. Le rocker crooner romantique a repris la pose sur les photos, les yeux dans le vide, la main sur le cœur. Il a enfilé son tuxedo saumon et a rebranché sa Gretsch constellée d'étoiles. Il s'est murmuré à lui-même des formules magiques et millénaires, archétypes toujours efficaces (I stand all alone the rain falling down. I still love you.") pour que s'enfle le sanglot mélancolique et que Narcisse s'émeuve de sa propre image. 

Alors s'est élevé dans la nuit la voix élastique de velours qui à chaque refrain s'étire en un pleur à l'octave supérieure. Derrière se déroule la ligne claire des guitares, vibrato et reverb, arpèges et slide ; les influences crooner, country, surf, rockab, swamp, tex-mex, et même soul (eh oui, le dernier single) fondues dans ce même son coulé, languide, éthéré et immatériel. Le rêve des racines plus que les racines elles-mêmes. Quelque part entre le songwriting de Roy Orbison et la vision du monde ultra "cool" de Chet Baker (deux maîtres avec lesquels Isaak a pu fraterniser juste avant leur mort. Un symbole.).

 
Une telle persévérance ne peut qu'impressionner. L'homme ne s'essouffle pas, ne se lasse pas. Son talent reste neuf et intact. La cause d'une telle permanence ? L'absence de difficultés, la totale aisance (à la fois fascinante et inquiétante) avec lesquelles il s'est immergé dans les images qu'il vénère. Un rapport aux racines sans rage, sans ironie, sans excès ni nihilisme. Mais vécu naturellement, comme en toute inconscience. Ainsi l'homme n'a jamais eu à se réclamer d'aucune vague revivaliste et revancharde, il n'est pas d'avantage le produit d'une communauté musicale (San Francisco n'est pas exactement une ville country). Il n'a jamais éprouvé le besoin de payer de sa personne et de trouver sa famille (tel un Willy de Ville poursuivant de Paris à la Nouvelle Orléans l'objet de ses amours), il n'a pas eu envie de casser ses jouets et de trouver une alternative dans le kitsch (les Cramps), il n'a pas pratiqué un dérèglement de tous les sens (Tom Waits) ni à l'inverse adopté la simplicité rustique et ancrée dans le social d'un Calvin Russel. Non, Chris Isaak se contente de vivre au premier degré, ce qui pour nous autres ne peut qu'appartenir au second degré. D'où cette impression à la fois de candeur et de roublardise qu'il donne. Voire de mauvaise foi. En cela il incarne mieux que personne la schizophrénie douce d'une Amérique, qui tout en prétendant vivre dans le présent ne s'est jamais totalement remise de son âge d'or (ce qui d'ailleurs vaut tout aussi bien pour l'Europe qui ne sait plus à quelle vague revivaliste se vouer).

Cette attitude a pu le rendre suspect aux yeux de certains quand il est apparu, alors que son aspect clean et éthéré était en phase avec les années 80 et la new wave (d'où les mini succès de "Dancin" et "Blue Hotel" et, il y a trois ans, le mega succès de "Wicked Game"). Cependant c'est sans aucun doute dans cette manière de vivre les années 50 de façon décalée, mais sérieux comme un Pape, qui a amené un David Lynch, séduit, à lui confier la B.O. de "Sailor et Lula" et le rôle du flic Chet Desmond dans la version ciné de "Twin Peaks". De même son image trop parfaite pour être honnête de Johnny-belle-gueule n'a pu que donner envie au cinéma de jouer avec. Jonathan Demme lui a confié des rôles sanglants de méchant dans "Le silence des agneaux" et "Veuve mais pas trop", Bertolucci lui a offert de jouer un yuppie dans son dernier film "Little Buddha". Il était donc normal que nous lui parlions autant d'images (la sienne, celles qui l'ont influencées) que de musique. De la musique comme images. Ce qui n'a pas toujours été sans heurts, l'homme n'étant pas à l'abri d'une contradiction...

Pour un Américain tu as une image très attachée aux années 50...
je ne me sens pas plus attaché aux années 50 et 60 que n'importe qui d'autre dans le rock. 

Pas plus que Nirvana ?
Guère plus. J'écoute Prince et j'entends James Brown, j'écoute Madonna et j'entends Prince. (Rires). Sur cet album, j'ai me semble-t-il autant à l'esprit Nirvana ou les nouveaux groupes de rap que Gene Vincent. En aucun cas, je n'essaie de recréer quelque chose qui appartiendrait au passé. 

Tu nies toute étiquette passéiste alors?
Non, je ne vois pas les choses comme ça. (Il s'énerve). Et je ne crois pas que personne qui écoute ma musique puisse me considérer ainsi à moins d'avoir une mentalité de présentateur TV ! (Rires). Tu sais, le genre de type à porter un brushing et une cravate square. Ils me regardent et disent "il a les cheveux coiffés en arrière, c'est Elvis !". Non, je ne suis pas Elvis. Est-ce que Morissey est Elvis à cause de sa banane ? Pour moi l'important dans un disque, c'est d'utiliser tout ce qui peut me mettre en valeur une chanson. Sur "San Francisco Days", j'utilise donc tous les moyens technologiques mis à ma disposition. Les anciens comme les nouveaux. Il y a des boîtes à rythme et des synthétiseurs, que j'ai repassés à travers un vieil ampli. Bien sûr, il y a différents sons... Je ne veux pas sonner comme Madonna, Prince ou Whitney Houston... Je cherche mon son. J'emploie évidemment les choses qui me sont naturelles. J'ai une plutôt bonne voix, donc je l'utilise. Je compose à la guitare folk, donc j'en joue sur les albums. Pour les arrangements, j'essaie à chaque album de faire appel à des instruments que les autres négligent, comme ici l'orgue B3. Un monstre, qui pèse une tonne, avec un système de pédalier très particulier. Plus personne n'en veut. Trop archaïque mais avec un son... (ici il se lance sur une longue tirade enthousiaste sur le maniement de la bête). J'utilise ces instruments parce que personne ne le fait... En réaction... Et puis les sons sont si jolis... Rien à voir avec du passéisme.

D'où vient selon toi cette vision du monde si coulée, si "chetbakerienne" de ta musique ?
Je veux que ma musique soit très jolie, qu'elle me transporte ailleurs. Car l'endroit où je suis la plupart du temps n'est pas joli du tout. Je ne bois pas, je ne prends pas de drogues... C'est mon seul moyen de partir, de m'enfuir. Avec la solitude... Les deux vont de pair. Cela me surprend toujours de voir à quel point les gens ont une image calme de moi. Pourtant, que je travaille sur un film, que je sois en tournée ou en promotion, je suis tendu. La seule présence des autres m'a toujours été douloureuse. A San Francisco, j'essaie d'aller au supermarché à 4 h du matin pour éviter les autres... De la même façon, je vais toujours surfer tout seul.... Je cherche une musique calme, douce, apaisante. 

Ta réaction n'est pas évidente. Avec la même psychologie, tu pourrais au contraire être tenté de faire de la musique violente...
Je ne peux pas supporter d'entendre de la musique agressive, aboyante. J'adore la musique hawaïenne. le pourrais en écouter toute la journée. C'est comme un massage. (Rires). C'est comme les voix. Je ne me lasse pas des voix magnifiques à la Bing Crosby, Dean Martin ou Gene Vincent. 

Est-ce que tu trouves l'équivalent dans la musique actuelle ?
Parfois, j'entends des choses qui sont très "mellow" mais ça ne me plaît qu'à moitié. C'est supposé être joli, mais il n'y aucun cœur. Il faut quand même que le sentiment soit réel. (Il chantonne des "wap doo wap" mielleux) C'est écœurant. En fait, dans un groupe comme Nirvana, je peux trouver beaucoup d'apaisement. Car les chansons sont belles, ordonnées, je peux les comprendre, les suivre où elles vont. C'est comme dans le rap. Par exemple, Digable Planets. Voici des Noirs de New York avec des paroles très étranges et moi je suis un blanc de Californie avec des paroles très basiques. Pourtant je me sens très proche de leur musique. 

Le rapprochement fait à ton sujet par certains critiques entre Elvis et new wave te semble-t-il encore pertinent pour "San Francisco Days" ?
Je pense avoir parcouru du chemin depuis. Il y a une grande variété de styles sur l'album. Beaucoup de gens m'ont dit que l'album sonnait jazz avec, par exemple, la guitare très Wes Montgomery d'une chanson comme "5.15". Ou bien l'orgue lui peu jazz de bar, bastringue, avec ce sentiment étrange de "Lonely With a Broken Heart". Il y a aussi sur certaines chansons comme "Except The New Girl" un esprit country-pop qui me rappelle le "Teach Your Children Well" de Crosby, Stills, Nash and Young ou des traces de surf dans "I Want Your Love". Des choses que j'ai plus l'habitude de faire. Et puis "Can't Do A Thing (To Stop Me)" a un côté très soul, non ? J'ai toujours pensé qu'elle pouvait être interprétée par un chanteur black. 

Quelle est ton approche quand tu fais une musique de film ?

A part "Sailor et Lula", je n'ai fait véritablement qu'une seule B.O, pour la télé. J'étais très fier du résultat. Je devais travailler très vite pour un budget réduit. Dans le studio, il y avait juste un batteur, deux choristes et moi. le regardais le film défiler et quand une porte se fermait à l'écran je faisais signe au batteur de taper puis aux filles de chanter "Ahouhahouh" (il pousse des hululements très séries télé 50 de science fiction). C'était amusant... Les B.O. sont de l'argent facilement gagné... Grâce à "Sailor et Lula", j'ai pu faire tranquillement les chansons de cet album... D'ailleurs je trouve que beaucoup de morceaux seraient formidables pour illustrer un film ! Quand j'écris des chansons, je pars d'une image très précise et très forte, qui est comme un décor au sentiment qui m'habite. Quand les gens écoutent le disque à leur tour, ils inventent leur propre image. Par exemple, pour une chanson sur l'attente, j'ai imaginé que ça se passait dans ma ville natale dans la cour de récréation à l'école, à attendre une petite amoureuse. A cette époque de ta vie où le monde semble comme un jouet dans tes mains. D'ailleurs au début de la chanson, j'ai mis des bruits d'enfants qui jouent au loin et une cloche d'école. Les gens autour de moi n'ont pas compris pourquoi je les avais mis. Ils disaient que ça ne faisait pas partie de la chanson. Mais moi, j'en avais besoin pour m'immerger dans le sentiment, pour créer l'ambiance.  (.../...)

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Chris Isaak, le groupe

Les réminiscences 50 qui travaillent l'inconscient de Chris Isaak l'ont naturellement amené à cette disposition d'esprit où il est moins question de "groupe" que de "backing band". Pourtant le titre du premier album, "Silvertone" est aussi le nom du groupe qui l'accompagne, avec régularité et fidélité, sur les albums et en tournée. Se dégage la figure du guitariste James Calvin Wilsey, maître du vibrato et de la reverb, qui arrive dans le cadre des racines à concilier inventivité et sobriété. « Tu sais, c'est assez drôle, James était dans un groupe punk de San Francisco, les Avengers. C'est un type assez étrange qui ne tâche jamais un mot. Sur la dernière tournée il ne nous a pas accompagné, il est resté en Californie pour produire d'autres groupes. » Autre constituant de la trade-mark éthérée et alanguie de Chris Isaak, le producteur Erik Jacobsen, vieux routier qui a produit entre autres Tim Hardin et Norman Greenbaum ("Spirit In The Sky" et qui a découvert Chris alors qu'il jouait solo dans des clubs de San Francisco. « Erik a une grande part dans le résultat final, Il est là pour m'arrêter. Si bonnes soient tes chansons, tu as besoin de quelqu'un pour t'imposer une limite afin de mettre en forme, afin de ne pas abuser indéfiniment d'une trouvaille. Quelqu'un qui te dit que tu ne peux aller plus loin, sinon les gens ne pourront plus suivre. » Et les gens suivent...

 

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