Rock Sound : June 1995 (n°26)

Chris Isaak

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Veste lamées, regard éperdus de détresse, coeur solitaire, chansons sans âge vouées toutes entières à un épanchement sentimental à faire passer Delly pour du Brett Easton-Ellis, Chris Isaak était à Paris ce printemps pour la présentation de son cinquième album, "Forever Blue"; L'occasion de serrer de près l'acteur-musicien. de très près même : interview / rencontre dans un taxi entre le quinzième et le seizième arrondissement pour cause d'emploi du temps chargé. En route.

 

 

Act I
Canal Plus, quai André Citroën, l3h45
Sur le papier, ça ressemblait à un bon plan. Enfin, façon de parler... Mais bref, le genre rencontre personnalisée, voyez... Rendez-vous avec Chris Isaak en marge de la préparation d'un plateau télé à la mode (Nulle Part Ailleurs), ça ne se refuse pas. Pensez, voir en vrai le plateau (vide) des Guignols... avec en prime une interview du crooner friscoan ! Cool. Flatté d'avance le chroniqueur. Impressionné même. Plein de gens qui déambulent de tous côtés sans savoir trop ce qu'ils font ni à quoi ils servent mais avec l'air d'avoir en permanence Matignon en ligne, ça vous pose une atmosphère. Putain, oui. Sauf que sur place, une fois passé l'émerveillement initial et légitime du pécore qui n'a jamais vu une louma de près, ça se complique un poil. "Oui, on est un peu à la bourre" constate-t-on du côté de la maison de disques. 'Tu n'as qu'a t'asseoir là et tu regardes le sound check, hein !? Chris n'en a plus que pour une minute". Ok, pas de problème. "Eternal love", le groupe mouline bien, Roly à la basse, Kenney à la batterie, les fidèles et puis un nouveau guitariste, jeune, sorte de clone de John Turturro mais qui a quand même du mal à faire oublier Jimmy Wilsey. Plus un type en santiags et perfecto (bloqué mid-80's le petit père !) qui fait du tambourin. Une fois, deux fois, trois fois, douze fois, "Eternal love" commence un peu à fatiguer, un peu éternel quoi. 14h30, ils y sont toujours, Aïe. Impossible de comprendre ce qui cloche en plus. Le son semble bon pourtant. L'observateur, se gratte l'occiput et commence à se dire qu'il va falloir qu'il recule ses autres rendez-vous de l'aprem. Puis, d'un coup, tout se débloque, les musiciens posent les instruments et se dirigent vers les loges. Impec', les affaires reprennent. Mais non, c'est une fausse alerte, après le son, il faut faire l'image et c'est reparti pour une plombe de "Eternal love". Gros à parier que c'est la chanson qui va jouer ce soir en direct-live, non ? Bon, mais l'interview, c'est quand ? Ben déjà pas à Canal parce qu'il faut rejoindre l'hôtel et pas à l'hôtel parce que Chris y a d'autres rendez-vous, explique-t-on du côté de la promo. Alors quand bon Dieu !? "Dans la voiture en allant de Canal à l'hôtel" avance-t-on le regard ailleurs. Ben tiens, quoi, c'est vrai, pourquoi pas ! On aurait pu y penser tout seul en plus.

Act II
Renault Espace V6 vert émeraude, quelque part quai de Grenelle, 15h30... 

Une fois grimpé dans le taxi aux côtés de l'ami Chris, on sent tout de suite que ce n'est pas gagné. Humeur bougonne. L'homme, dans son costard croisé anthracite, affiche détachement et lassitude, voire même un vague agacement. Ouille. Premier regard. How are you ? Good to see you again. Alors là, Chris, tu m'en bouches un coin. C'est vrai, tu me reconnais depuis la dernière ? Oui, c'est vrai il m'a reconnu. Un peu de baume au coeur dans un environnement bien cruel. Je t'aime Chris.Tout d'un coup, malgré la pluie et le vent, le quai Branly s'illumine, l'interview peut commencer. 

Je ne tenais pas à faire quelque chose de nouveau ou de différent avec cet album. Le nouveau, le différent, c'est un truc de journalistes. Ils crèvent de n'avoir rien de nouveau à se mettre sous la dent... Moi, je suis musicien, mon travail, c'est de faire de belles mélodies, de belles chansons. Des trucs uniques. Pas d'inventer la nouveauté tous les deux ans. Le propos résonne comme une sentence. Lui, le tendre chanteur à la voix d'or, le voilà tout à coup bien combatif. Mettons cela sur le compte d'un emploi du temps bien chargé. Mais il poursuit: 

L'évolution, le changement, ce n'est pas mon fort. Et ce n'est pas l'important pour ce qui me concerne, je suis juste un musicien. Cela dit, si tu me mets un flingue sur la tempe et que tu me demandes les différences avec l'album précédent, je dirais que pour la première fois toutes les chansons d'un album ont été écrites à propos d'une seule femme. Une femme que j'ai aimé et qui m'a quittée. C'est un disque fait de larmes et de sang. Le ton n'est pas dramatique mais, tout à coup, l'atmosphère semble beaucoup plus lourde. La voiture s'immobilise à un feu rouge, Chris chasse la buée sur la vitre d'un revers de la main et observe mélancolique un manège d'enfants au pied de la tour Eiffel. 

Le plus fou, c'est que cet album ne m'a même pas servi de thérapie. Les chansons parlent de cette rupture inlassablement, et entretiennent la fièvre. Ecrire une chanson, ce n'est pas comme extraire une balle. Ça ne fait pas baisser la fièvre. 

Isaak se retourne et esquisse un demi sourire comme pour faire comprendre qu'il apprend à vivre avec. Son visage ne trahit pas son âge, sans doute le résultat d'une vie saine et équilibrée. Surf, sun & no drugs. 

Je n'ai pas le sentiment que le fait de vieillir me fasse voir la vie autrement. Les évènements oui. Être passé par cette relation avec cette fille a totalement bouleversé mes perspectives. Pour la première fois, j'avais rencontré une personne avec laquelle j'avais envie que ça dure. Inconsciemment, je pensais qu'elle était là pour toujours, qu'elle faisait partie de ma vie à jamais. Pour la première fois j'avais envie de me marier, j'avais même fait dessiner les alliances et même acheté les pierres. L'aveu est sincère, presque touchant. Étrange de voir ce type qui fait chavirer le cœur de milliers de filles se mortifier de la sorte. 

 

Nous traversons le pont d'Iena. En remontant l'avenue des Nations Unies, Chris confesse son amour de Paris et regrette de ne pas y venir plus souvent. Question d'emploi du temps aujourd'hui, plus question d'argent comme dans le temps. 

L'argent ne me pose pas de problème, je n'ai pas de gros besoins. Je ne suis pas dépensier. Je n'ai pas besoin de la dernière voiture, je ne fréquente pas de Top models, je ne vais pas dans les clubs, je n'ai pas d'accoutumance à l'alcool ou à la drogue. L'argent que je gagne, je le mets à la banque pour le jour où j'aurai moins de succès, où je me ferai virer par ma maison de disques et où je devrai auto-produire mes disques et payer mes musiciens. Tu vois, le fric n'a rien changé à ma vie. J'en suis toujours à me prendre la tête avec une fille qui m'a quitté. Rien n'a changé, rien. "Nothing's changed", c'est pas dans une de ses chansons ça ? Poor Chris, beau comme une statue grecque, plein aux as, champion de surf, musicien reconnu, acteur prometteur et pas une greluche qui veut de lui comme père de ses enfants. Y'a pas d'justice. "Forever blue", y'a de quoi, parole.

Act III
Renault Espace V6 vert émeraude, Place du Trocadéro 15h45... 

Heureusement, Chris est aujourd'hui célèbre et ça doit lui procurer un semblant de consolation. 

C'est une célébrité très relative. Mais il m'arrive que des gens me reconnaissent dans la rue, C'est très sympathique, c'est juste pour dire "J'aime vos disques, j'aime vos films"... Ça n'a rien à voir avec une célébrité dévorante. C'est assez plaisant. J'aime bien les gens de toutes façons et lorsqu'on vient me demander un autographe, je suis toujours flatté. 

Conscient que ses quelques petits rôles au cinéma ("Married to the mob", "Le silence des agneaux", "Fire walk with me", "Little buddah") ont beaucoup fait pour sa popularité, Isaak insiste sur le fait qu'il n'y a pas de séparation entre Chris l'acteur et Chris le musicien : 

Même type vraiment. Je passe sans problème de l'une à l'autre des activités. En fait, je n'ai pas tourné depuis longtemps parce je voulais totalement me consacrer à "Forever blue". J'ai simplement joué un petit rôle dans "Grace of my heart", une journée de tournage. Une scène avec John Turturro. Il joue une espèce de Phil Spector et moi le rôle d'un songwriter qui vient le voir. Super. Je brûle d'envie de retourner devant la caméra. L'an prochain, je pense. 

Nous remontons l'avenue Raymond Poincaré, le seizième déroule sa géométrie cossue et désespérante. Le play boy de Stockton rajuste le dos de sa veste qui était en train de se froisser, lisse ses deux revers et plante ses deux yeux bleus dans les miens. Trouble. L'animal est serein vis à vis du septième art. 

Ça n'influence pas du tout le songwriter, parfois au détour d'une phrase, il y a une référence au cinéma, une réplique, mais rien de plus. Je ne suis pas influencé par ça. En revanche, j'ai été très marqué par les collaborations avec Bertolucci et David Lynch. Ce sont des gens que j'admire profondément parce que j'aimerais être capable de faire ce qu'ils font. Bertolucci est un maître, une légende vivante. Lynch n'a pas ce statut mais c'est sans doute la personne la plus douée que j'ai rencontrée dans ma vie. Musique, art, peinture, photo... partout où il met son nez, il fait des merveilles. Sais-tu qu'il est un ébéniste de tout premier ordre ? Il vend même ses meubles. Une anecdote : un jour sur un tournage, il a vu quelqu'un avec un paint gun. Il le lui a emprunté. Il n'avait jamais touché une arme de sa vie. Dix minutes après, il dégommait des cibles de la taille d'une épingle à trente mètres. Jamais vu ça !  

Ce sera le seul éclat de rire de l'ex-boxeur qui explique ensuite qu'il aime le côté touche-à-tout chez un artiste. Lui-même ne désespère pas en dehors de la musique et du cinéma être bientôt en mesure de publier poèmes et nouvelles et aussi bandes dessinées : 

Ce sont des bandes humoristiques, des trucs très courts. J'ai déjà une série de prête, ça s'appelle Bill Circus, c'est l'histoire d'un petit gamin, un peu dingue, plein de bonnes intentions, mais qui fait des trucs terribles, horribles. C'est très noir, très sarcastique. Très drôle aussi. Je crois que ça m'aide à décompresser. Etant donnée la morosité habituelle du personnage, cette révélation d'Isaak s'éclatant en dessinant donne presque envie de courir sur le champ lui acheter une boîte de Caran d'Ache supplémentaire. Un peu comme on foncerait chez MacDo si un anorexique vous demandait tout à trac un double cheese burger. Pendant ce temps, parfaitement insensible à la psychanalyse qui se déroule sur le siège arrière, la Renault Espace remonte la rue St Didier et bifurque sur l'avenue Victor Hugo. Avant de s'immobiliser définitivement devant l'hôtel du chanteur.

Epilog

Renault Espace V6 vert émeraude, Hôtel Parc Victor Hugo, 16h. 
Isaak détend ses jambes, se cale plus confortablement dans son siège avant la dernière ligne droite de l'entretien. Il préfère rester dans l'atmosphère un peu confinée de la voiture pour en terminer. Puisqu'on en est à l'écriture, le premier roman, c'est pour quand ? 

J'aime beaucoup la littérature. Peut-être qu'un jour, je sauterai le pas du roman de fiction. Pour l'instant, je ne me sens qu'un amateur au niveau de l'écriture. Je manque de souffle sur la distance, je le sais. Et puis écrire un roman, ça veut dire ne faire que ça pendant des mois; et ça, je n'en suis pas encore capable. J'ai encore une âme de rocker précise t-il dans un sourire. Comme s'il avait l'impression que nous en doutions. Non, Chris, nous n'en doutons pas, rocker tu es, rocker tu resteras. Comme tu resteras définitivement une émanation de San Francisco. Une affirmation qui le fait sursauter. 

C'est surprenant que vous pensiez cela ici. En fait, si j'ai un endroit où je puise mes racines, ce n'est pas San Francisco, c'est Stockton. Le centre de la Californie, c'est très sec, très vieux, très chaud. C'est le un endroit où j'ai plein de souvenirs, où chaque recoin, chaque maison, signifie quelque chose. Ma famille a toujours habité là. Très romantique comme endroit, le soir, l'été lorsqu'il fait encore tiède, on se met sous le porche et on écoute les criquets. Rocker certes mais incorrigiblement nostalgique. C'est vrai, je suis nostalgique. C'est une constante de ma personnalité. Toutes les fois que je retourne à Stockton par exemple, je me laisse gagner par cette langueur que provoque la nostalgie du passé. Il y a deux ans, la maison dans laquelle j'ai été élevé a brûlé entièrement. Aujourd'hui, l'endroit n'est plus qu'un terrain vague avec un vieux noyer. Lorsque je m'y suis rendu, je me suis approché de l'arbre. Il y avait toujours ces morceaux bois que mon père avait cloué sur le tronc pour que je puisse y monter quand j'étais gosse, ça m'a bouleversé de voir ça... 

Assis à l'arrière d'une voiture, sur un trottoir de Paris en un mois de mai pluvieux, l'évocation prend carrément un tour surréaliste. Un ange passe. Finalement, on n'est pas si mal tous les deux à discuter sur une banquette arrière de taxi. Nous en sommes presque à méditer sur la vie qui s'écoule et le temps qui passe lorsqu'un manager énergique vient mettre un terme sans ménagement à la bavette. Chris s'extrait de la voiture comme un automate, me serre la main, bafouille quelques civilités et tourne les talons. Le personnage public a repris le dessus. Presque. Il fait quelques pas, se ravise et revient: Tu connais Philippe Garnier ? J'acquiesce. On me dit qu'il est en France en ce moment, tu sais où on peut le joindre ? Étonnante cette pensée pour le journaliste qui l'a découvert il y a dix ans. Étonnante et touchante. Isaak a le sens de la fidélité C'est bien. Forever yours too, Chris. Le moins qu'on puisse faire.

Yves Bongarçon
Photos : Claude Gassian

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